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Improviser un rap : les 6 astuces essentielles

La France est la patrie européenne du rap. Elle est réputée pour être le deuxième marché mondial de musique hip-hop après les Etats-Unis. Depuis presque une dizaine d’années, le top 50 français des plateformes de musiques en ligne est quasi intégralement composé de morceaux de rap. Le hip-hop est la musique populaire par excellence dans le monde, et en France tout particulièrement !

Cette musique, née dans les fêtes underground du Bronx à la fin des années 1970, a dès son origine impliqué de l’improvisation, aussi bien de la part des DJ que des rappeurs. Encore aujourd’hui, on retrouve ce folklore de l’improvisation à travers l’exercice des freestyles et des battles de rap.

Mettez-vous VRAIMENT à improviser du rap

Quoi de plus approprié donc que d’improviser du rap ? C’est l’évidence même. Pourtant deux déceptions s’imposent :

  • presque aucun rappeur ou rappeuse n’improvise réellement ses textes : quand on assiste à un “freestyle” ou à une “battle”, les participant·e·s ont déjà écrits leurs paroles et leurs punchlines à l’avance. Dans le cas du freestyle, tout au plus l’artiste doit s’adapter à un beat inconnu (mais souvent l’exercice a été répété), et dans le cas du battle, il peut y avoir une place réservée à l’improvisation dans la mesure où les artistes choisissent stratégiquement quand et comment sortir leurs punchlines pour provoquer le meilleur effet. En réalité, “l’improvisation” dans la scène rap est tellement formatée qu’elle ne constitue qu’un folklore. En tout cas pour moi ce n’est plus de l’impro car les artistes ne font pas de la création instantanée.
  • en improvisation théâtrale, les raps improvisés sont assez rares et pas toujours très réussis : le rap est souvent utilisé comme un morceau de bravoure vite expédié car assez risqué. Le genre n’est quasiment pas travaillé par les comédien·ne·s en atelier, et la régie son ne propose pas toujours une instru, ce qui oblige à se lancer a capella, rendant un exercice déjà pas évident encore plus périlleux.

C’est très dommage ! Car improviser — vraiment —  de beaux raps c’est tout à fait possible ! Je peux vous donner plusieurs excellents exemples en anglais visionnables sur Youtube :

Wayne Brady, chanteur et improvisateur américain habitué du célèbre show d’Impro “Whose Line Is It Anyway” a proposé dans des radios de rap des exemples très réussis de freestyles réellement improvisés : il découvre en direct le beat, et pioche des questions au hasard dans un panier pour y répondre en rappant. Et tout y est: le flow, le respect du thème, l’humour, ça le fait grave comme disent les vieux qui veulent faire jeune :

Chris Turner est un improvisateur d’origine anglaise spécialisé dans le rap. Il demande aux personnes dans le public de lui donner des thèmes, de préférence complexes et un peu tordus, et finit par proposer un rap improvisé en direct inspiré de ces propositions. Ses performances se distinguent par la précision qu’il apporte au traitement des thèmes, souvent pourtant très pointus. Il met en ligne de nombreuses captations de ses spectacles, en voici un exemple :

Le rappeur américain Harry Mack s’est rendu célèbre grâce à des vidéos de freestyles réalisés dans la rue, en particulier une vidéo tournée sur Venice Beach à Los Angeles qui est devenue virale. Il arrive à maintenir un flow fluide et parfois spectaculairement rapide tout en décrivant les personnes qu’il aperçoit dans la rue :

En France, plusieurs rappeurs sont connus pour leur capacité à improviser (Alpha Wann ou LIM par exemple). Vous pouvez visionner une vidéo live de Res Turner avec de belles punchlines improvisées :

Vous voyez ? C’est possible ! On peut faire des trucs très sympas en pure impro !

Evidemment comme ces gens sont forts dans leur domaine ça peut être intimidant. Perso je trouve ça plutôt motivant parce que ça montre que c’est tout à fait possible de faire des textes travaillés, impactants et bien rappés. Avec un peu d’entrainement bien sûr… Mais par où commencer ?

Le rap est une technique qui se travaille comme toutes les autres techniques d’impro, et je pense que l’erreur première à éviter est d’aborder le rap comme on peut aborder la chanson de variété classique. En effet, ma première astuce est :

1- Ne cherchez pas à rimer ! Le plus important c’est le flow 

Ce premier conseil est je pense le plus précieux pour bien aborder le rap improvisé. Toutes les autres astuces sont une déclinaison de ce principe absolument fondamental. Et ce principe est d’autant plus important qu’il est assez contre-intuitif !

En effet quand on entend du rap, et a fortiori du rap improvisé, on est surtout impressionné par la qualité ou la pertinence du texte, et la créativité de l’artiste : il ou elle a réussi à sortir ces super répliques en quelques secondes sans hésiter ! 

Il est donc logique de penser qu’il faut se concentrer sur le texte quand on rappe, et qu’il faut centrer ses efforts sur ce que l’on doit dire et sur notre capacité à sortir des bonnes rimes.

En fait c’est tout l’inverse. Pour bien improviser un rap, il faut privilégier le flow. Ce qui fera que votre rap sera réussi et qu’il fera son petit effet sur l’audience, ce sera votre capacité à scander les paroles en bonne synchronisation avec le beat. Je vous l’assure, les rimes ne sont pas importantes. Si vous dites des choses basiques et sans aucune rime, mais que votre flow est bon, le public sera ravi et vous aurez fait 60%, voire 70% du boulot. Tout le reste ne sera que du bonus. 

Donc si vous ne devez retenir qu’un seul jeu d’impro pour bosser le rap, c’est celui-ci : lancez une instru et entraînez vous à dire absolument n’importe quoi, en vous attachant uniquement à la bonne rythmique de vos paroles.

Les astuces suivantes vous aideront à savoir comment travailler votre flow.

2- Entraînez vous d’abord sans improviser les paroles, pour rendre le flow instinctif

Comme je l’ai écrit plus haut, on se met vite la pression pour trouver “le bon texte”, ce qui risque de nous déstabiliser et de nous faire rater notre rap.

Comme pour tous les mauvais réflexes, il faut donc désapprendre ce que l’on a appris.

Merci MC Yoda.

Pour cela, c’est très simple : lancez une instru de rap (on en trouve des milliers sur Youtube), et n’improvisez pas les paroles. Je vous conseille en effet :

  1. de rapper en “gromelot”: essayer de trouver un flow qui s’adapte bien à l’instru, juste en scandant des “nananana nana” ou “yokedekepa pim bam takadakada” ou tout ce qui vous passe par la tête. Cela vous permet de vous concentrer sur le flow uniquement.
  2. de rapper des textes écrits que vous avez sous les yeux : vous pouvez prendre absolument ce que vous voulez: un extrait de roman qui traîne, la notice de votre paracetamol, la recette de vos cookies, qu’importe. Encore une fois, concentrez-vous sur le flow, et vous verrez, ça peut être très drôle de réussir à rendre stylé un texte le plus austère qui soit. Pourquoi ne pas rapper La critique de la raison pure d’Emmanuel Kant ?
  3. de rapper des textes que vous connaissez par cœur : le jeu est un peu plus compliqué car il fait appel à votre mémoire : essayez de rapper avec un flow crédible une fable de la Fontaine que vous avez apprise par coeur, ou des répliques d’une pièce de Racine, ou des chansons qui à la base ne sont pas du rap. Dans ce dernier cas, cela peut être un peu plus tricky parce que vous serez habitué au rythme de la chanson d’origine. Mais ce sera justement très intéressant d’observer quelles variations de rythme sont nécessaires pour passer d’une version “pop” à une version “rap”, voire quelles astuces vous devez trouver, comme rajouter des mots ou des onomatopées. En gros, essayer de faire un peu comme “MC Chelou” sur Radio nova :

3- Apprenez à rapper sans s’arrêter : ne plus avoir peur du flot

Maintenant que vous avez commencé à aiguiser votre flow, vous pouvez commencer à improviser des paroles. 

Mais ne vous mettez pas la pression : vos seuls objectifs doivent être de rester en phase avec l’instru, et de garder un flot continu de paroles, ce qui n’est pas si évident que ça n’en a l’air. Le rap laisse moins de moments de respirations que la chanson pop, donc entraînez vous à rapper sans trop vous arrêter, pour être à l’aise avec le fait de scander des paroles sans discontinuer pendant plusieurs minutes.

Encore une fois, ne vous préoccupez pas des rimes, de la pertinence du texte ou de ce que vous dites. Essayez de dire des choses, en décrivant ce que vous voyez, quelles sont vos émotions, ou en vous projetant dans la peau d’autres personnes, d’autres époques, etc… L’objectif est d’avoir un flot fluide et continu sur la durée.

Une façon très simple et vieille comme le monde de faire cet exercice est de rapper sous la douche. On met une instru et on se lance sans trop se poser de questions.

Je ne suis pas un expert en rap et en solfège, mais voici mes conseils pour travailler le flow :

  1. caler une voyelle sur chaque temps de la mesure (à force de pratique cela deviendra instinctif)
  2. introduire des variations dans le flow, en jouant sur l’intonation des syllabes, la vitesse de scansion, les pauses entre les mots, la longueur des syllabes.

Je n’ai pas trouvé de tutoriel très bon en français, mais voici pour moi les vidéos essentielles en anglais (assez simples et avec sous-titres activables) très claires pour vous aider à explorer rapidement les subtilités du flow :

Enfin, dernier conseil concernant le flow, entrainez vous à rapper sur une grande variété d’instrus, ce qui vous évitera de vous trouver à dépourvu si la régie met un beat avec lequel vous n’avez pas l’habitude de scander. Essayez de commencer par des instrus old-school inspiration années 1990 (du “Boombap”) et élargissez pour voir à des sons plus modernes et plus exigeants en termes de flow : de la “Trap” (instru électro qui se prête davantage à des rythmes ternaires de type triolet et sextolets) ou de la “Drill” (instru électro qui marque différemment les beats et qui comporte des phases à 6 syllabes par temps). De manière générale, je vous conseille de vous inspirer de vos rappeurs ou rappeuses préféré·e·s et de vous essayer à les caricaturer, ça sera plus simple de vous imprégner de leur flow, que vous connaissez déjà. A mon humble avis le Boombap est le plus simple pour improviser mais c’est peut-être lié à mes goûts de vieux 😉

Après avoir travaillé un minimum le flow, vous pourrez vous sentir à l’aise pour scander un texte de manière stylée sur un simple métronome, voire a capella. Avec ça, vous serez ensuite prêt·e à tout !

Autre avantage de travailler la technique du flow, c’est qu’elle vous rend beaucoup plus libre que la chanson pop qui standardise davantage le rythme de vos paroles : si vous trouvez une rime sympa mais qui demande beaucoup de syllabes pour y parvenir, il vous suffit de faire une petite accélération en restant dans le tempo global de l’instru, vous aurez rimé et aurez inséré une variation de flow stylée. Au lieu de se désoler face à la différence de syllabes entre deux phrases, le public sera épaté d’entendre votre capacité à faire varier le flow… (Ca demande quand même un peu de pratique 😉 )

4- Privilégier les motifs rythmiques aux rimes à proprement parler

Quand on fait de la musique, on cherche à mettre en raisonance des motifs. Cela peut-être des motifs mélodiques ou des rimes (comme dans la chanson pop), mais cela peut être aussi des motifs rythmiques (ce qui prend une grande importance dans le rap !). Vous devez penser votre voix comme un instrument rythmique à part entière.

Quand on improvise du rap, il est donc très utile de s’entraîner à scander avec des motifs rythmiques qui se répètent ou se répondent. Comme écrit plus haut, on peut créer un flow en alternant syllabes courtes et syllabes longues, en insérant des silences, ou en variant la vitesse de scansion du texte. Vous pouvez rapper des phrases sans aucune rime, mais si vous scandez le texte avec des variations qui se répondent, le résultat sera très stylé et impressionnant pour le public.

Les variations de motifs peuvent être très simples, et se diversifier avec votre expérience et votre connaissance de l’instru. Imaginons par exemple que vous découpez une même mesure selon les syllabes suivantes :

  1. UN-DEUX- TROIIIS
  2. UN-DEUX-TROIIIS
  3. UNDEUXTROISQUATRECINQSIX
  4. UNDEUXTROISQUATRECINQSIX
  5. UN
  6. UN-DEUX- TROIIIS
  7. UN-DEUX- TROIIIS
  8. Etc…

Les accélérations ne sont possibles bien sûr que si vous êtes à l’aise avec le fait de “dire plein de choses en flot continu sans s’arrêter” (cf. exemples précédents).

5- Passer du réflexe « rimes » au réflexe « assonances » et « allitérations »

Si vous abordez le rap comme on aborde traditionnellement la chanson improvisée, vous chercherez essentiellement à faire des rimes croisées ou des rimes doubles en fins de phrases.

En faisant ça, vous passerez à côté de la majeure partie de la richesse stylistique du rap ! En effet dans les morceaux de hip-hop les rimes ne sont pas qu’à la fin des phrases, voire elle ne s’y trouvent pas du tout. Elles sont disséminées partout dans le texte.

Le style du texte de rap reposera donc beaucoup sur des allitérations (répétitions de consonnes identiques dans tout le texte, de préférence dans le même ordre pour donner du rythme) et des assonances (la récurrence de voyelles aux mêmes endroits du texte) et en particulier les multisyllabiques (enchaînement identiques de voyelles au sein de mots différents) : par exemple, “Emirats arabes Unis” et “méprisables achats d’urine” ne riment pas, mais constituent des assonances multisyllabiques.

Et le rap utilise les assonances. Beaucoup. Beau-coup.

Je vous conseille donc de vous essayer régulièrement à trouver des assonances, et d’en insérer dans vos impros de rap. A partir d’un moment, la recherche d’assonances deviendra aussi instinctive et efficace que la recherche de rimes (si vous êtes déjà habitué·e à faire de l’impro rimée).

Avec des assonances, vos impros ressembleront beaucoup plus à de vrais morceaux de rap, et un peu moins à des fables de la fontaine posées sur des instrus de rap 😉

La rythmique du texte en rap passe aussi beaucoup par les consonnes, qui peuvent donner du relief au son grâce aux allitérations. Si vous aimez écouter du Kacem Wapalek, du Stupeflip ou même du Boby Lapointe vous devriez vite comprendre ce que je veux dire 😉

6- Acquérir le réflexe « punchline » : préparez un coup d’avance (oui !)

Cette ultime astuce peut aussi bien s’appliquer au rap qu’à la chanson improvisée : en vous y entraînant vous ferez d’une pierre deux coups !

C’est aussi une astuce qui vient contredire un principe que je défends beaucoup dans mes écrits : chercher à ne rien anticiper.

Eh bien pour cette fois-ci, je vais vous demander de préparer votre coup ! Plus précisément, je vous demanderai juste d’avoir un coup d’avance, mais un coup qui fait la différence.

Quand on improvise un rap, comme quand on en compose un, c’est toujours bien de finir un couplet par une formule, souvent une rime, qui met tout le monde d’accord en faisant un petit effet waouh.

Pour obtenir une punchline, il faut 1) une rime 2) pile poil en rapport avec le thème 3) qui n’aura pas tout de suite été anticipée par le public.

La technique de la punchline est assez simple (sur le papier en tout cas) :

  1. partez du thème donné par le public ou le·la MC (imaginons pour l’exemple que le thème donné soit “la poste”)
  2. cherchez une rime qui pourrait être pas mal pour terminer une séquence sur ce thème (dans notre exemple, “timbré” peut faire l’affaire)
  3. cherchez un autre mot qui rime avec, mais qui n’a pas de rapport évident avec le thème (par exemple “palabrer”)
  4. Arrangez ça en une séquence où le mot en rapport avec le thème apparaît en tout dernier (par exemple “Mais je devrais cesser d’palabrer / sinon vous vous direz que j’suis complètement TIMBRÉ”)
  5. Drop the mike.

Cette technique est très souvent utilisée par les improvisateur·ice·s qui pratiquent l’impro rimée ou l’impro chantée. La prochaine fois, si vous êtes dans le public, vous pourrez vous essayer à un petit jeu : anticiper les punchlines en cherchant des mots en rapport avec le thème et qui riment avec les premières phrases énoncées ou chantées par les comédien·ne·s.


Voilà, c’est la fin de ces quelques conseils pour commencer à s’amuser sérieusement à balancer des lyrics de fou sur des instrus de malade, comme disent les ringards qui veulent se la péter.

J’espère que cela vous sera utile et que vous pourrez partager vos moments de bravoure ! 

L’impro c’est le S

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