Cercles de consentement en impro : les pièges à éviter

Il y a à peine cinq ans, les cercles de consentement étaient quasiment inconnus de la scène d’improvisation théâtrale francophone. En 2025, cet outil est bien mieux connu et assez largement utilisé au sein des collectifs d’impro. Voilà de quoi se réjouir !

Mais comme tous les outils, son usage comporte des risques, pouvant aller jusqu’à la maltraitance des personnes que l’on veut pourtant protéger.

Voyons comment s’en saisir pour servir au mieux notre pratique collective de l’impro !

Tout d’abord, commençons par les bases :

Qu’est-ce qu’un cercle de consentement ?

Le cercle de consentement est une pratique relativement récente, inspirée des cercles de parole pratiqués dans le cadre des séances de communication non violente (CNV) ou des collectifs de développement personnel.

Il s’agit de réunir des personnes qui s’apprêtent à pratiquer ensemble des improvisations, à l’occasion par exemple d’un atelier ou d’un spectacle, et de permettre à chacun·e d’exprimer ses limites, ses inconforts ou ses envies, l’un·e après l’autre, sans être interrompu·e.

Le cercle est souvent – mais pas nécessairement – animé par une personne qui a la possibilité de faire circuler la parole, de proposer des sujets spécifiques à aborder, ou de demander à des participant·e·s de préciser leur pensée.

Cet outil sert en particulier à signaler des contraintes physiques à prendre en compte (douleurs ou impossibilités liées à la condition physique de la personne), se mettre d’accord sur la façon de représenter sur scène des moments d’intimité, des actes de violence, ou encore savoir si certaines thématiques ou angles de traitement mettent certaines personnes mal à l’aise.

On peut par exemple partager dans un cercle de consentement les informations suivantes : « j’ai encore mal au dos depuis la semaine dernière donc attention à ne pas me donner des tapes ou essayer de me monter dessus » / « je n’embrasse pas sur scène » / « je ne suis pas à l’aise avec les histoires de deuil » / « j’adore danser alors si on a l’occasion de faire une scène de danse ou avec une chorégraphie je serai ravi·e ! « , etc.

Quels sont les avantages attendus d’un cercle de consentement ?

Le cercle de consentement sert une double fonction:

  1. Cela permet de partager des informations utiles pour prévenir toute situation involontaire de maltraitance ou de mal être pendant les impros qui vont suivre, et garantir que tout le monde passe un bon moment. Prévenir plutôt que guérir ! 🙂

  2. Cela permet plus globalement de « faire cheminer la question du consentement dans l’impro« , comme le spécifie un document formalisé par la fédération belge FBIA. La pratique régulière des cercles de consentement installe des réflexes de prévenance et d’empathie au sein des collectifs qui y ont recours.

Quels sont les risques liés à la pratique des cercles de consentement ?

Comme tout outil qui se respecte, le cercle de consentement peut produire des inconvénients ou générer des risques. j’en identifie trois, que je vous détaille par ordre de gravité.

  1. Une inutilité apparente

    L’exercice du cercle de consentement n’est pas naturel, surtout quand on ne l’a jamais pratiqué. Il peut prendre un peu de court. Dans de nombreux cas, j’ai l’impression que pas mal de participant·e·s ne savent pas trop quoi partager, et se contentent de dire « tout me va », ce qui bien évidemment est faux, mais l’essentiel des limites auxquelles elles peuvent penser leur apparaissent évidentes.

    Dans ce type de situations, le tour de parole sera peu informatif pour la suite de l’atelier ou du spectacle.

  2. Des réactions de rejet et de découragement

    L’enchaînement de limites et sujets à éviter peut avoir un effet intimidant pour les personnes qui viennent en impro pour « ne pas se prendre la tête« .

    Plusieurs camarades m’ont raconté que des participants à leurs ateliers avaient déclaré être mis mal à l’aise par les cercles de consentement, parce que ça leur mettait la pression, les obligeait à penser à tout ce qu’ils devaient éviter de dire ou faire, et cela bridait leur liberté de jeu. Je laisse ici de côté les remarques de type « on ne peut plus rien dire », qui reflètent principalement le profil sociologique des participants concernés (hommes blancs cis-genre la quarantaine ou plus).

    Le ressenti de ces participants reste tout à fait pertinent et mérite d’être pris en compte en tant qu’animat·eur·rice d’atelier ou de spectacle : la liste des choses à ne pas dire ou ne pas faire peut rendre le lâcher prise plus difficile, ce qui nuit à l’impro.

  3. La manipulation de la notion de consentement au détriment des victimes.

    Il s’agit là du risque le plus grave et le plus important à limiter.

    Ce cercle de parole s’appuie sur la notion de consentement, une notion utile pour la réflexion collective mais qui peut être détournée par les dominants en s’appuyant sur l’ambiguïté des processus qui y sont associés. J’avais, dans un ancien article, évoqué la critique féministe du consentement, qui y voit une arme potentielle du patriarcat. Par exemple, un article publié sur le blog révolution féministe souligne que « le modèle du consentement centre presque totalement le débat sur ce que la victime a pensé ou ressenti, plutôt que sur ce que l’agresseur a fait« .

    Imaginons qu’une agression sexuelle se produise sur scène et que la victime trouve le courage de s’en plaindre a posteriori auprès du groupe. Si un cercle de consentement avait eu lieu avant le spectacle, et que la victime n’avait pas évoqué la situation qui s’est révélée problématique, l’agresseur peut s’en servir fallacieusement pour se défendre : « Pendant le cercle de parole tu avais dit que tout t’allait, viens pas me dire maintenant que ça te met mal à l’aise quand on te touche« . L’occasion idéale pour retourner le stigmate et se poser en victime à la place de la victime…

Comment organiser des cercles de consentement utiles et sécurisants ?

Afin d’éviter les écueils décrits ci-dessus, et faire en sorte que la pratique du cercle de consentement favorise réellement le jeu, la confiance et le plaisir de la scène, le point clé est assez clair : il faut bien contextualiser l’exercice.

Comment faire cela concrètement ?

  1. Le cercle de parole est un processus accompagné

    Cette pratique n’apparaît pas naturelle aux personnes qui n’ont jamais eu l’occasion d’y être accoutumé. Il incombe à l’animat·eur·rice de l’atelier ou du spectacle de bien en expliquer les tenants et les aboutissants.

    Le cercle ne doit pas être ressenti comme un exercice « prise de tête ». Idéalement, c’est introduit comme l’occasion de partager des infos qui aident à mieux connaître notre état d’esprit du moment et mieux jouer ensemble. L’animateur·rice peut préciser des sujets qui peuvent être abordés, comme la condition physique, les limites et inconforts personnels, les sujets sensibles, les choses qu’on adorerait jouer. Cela peut donner des idées aux personnes qui ne savent pas trop quoi partager.

    Aux participant·e·s qui indiquent que « tout leur va », on peut leur demander si ils·elles ont des envies particulières pour les impros du jour.

    Aux personnes qui peuvent être stressées par la liste des choses à éviter, on peut les rassurer en leur rappelant que ce sont avant tout des infos, et que ça reste possible qu’on fasse des erreurs sur scène. Comme on est en impro, on pourra juste mieux s’en rendre compte si ça arrive et on pourra mieux s’ajuster dans l’instant. Donc le contraire de la prise de tête puisque ça évite l’incompréhensions de situations de malaise sur scène !

    L’accompagnement par l’animat·eur·rice ou une autre personne référente est également utile pour empouvoirer les comédien·ne·s qui ne se sentent pas suffisamment à l’aise pour partager leurs limites devant tout le monde, comme le précise à juste titre le document édité par la FBIA : « Si certaines personnes ne se sentent pas à l’aise mais veulent tout de même faire passer une idée: elles peuvent se confier au préalable à un représentant (coach de banc de préférence, sinon capitaine), qui transmet de manière globale, sans citer de nom. Exemple: « J’ai des joueur·euses qui ne sont pas à l’aise avec l’idée d’être embrassé. »

  2. Il est primordial de partager avec le groupe la portée que doit avoir le cercle de parole, et la façon dont on aborde le consentement

    Le cercle de parole n’a aucune portée contractuelle. Il apporte des informations utiles et ne cimente en aucun cas une « cartographie des consentements ». L’animateur·rice a la responsabilité de partager avec son groupe les fondamentaux du consentement : on doit rester à l’écoute de ses partenaires de jeu, le consentement est circonstancié et évolutif, ce qui prime est l’écoute active et le respect de l’autre.

    Le document de la FBIA rappelle également que « Ce n’est pas parce qu’une personne a livré ses limites acceptables qu’il faut les atteindre, et la nécessité dans l’histoire reste essentielle. »

    Le cercle est ainsi l’occasion de partager des principes de jeu qui garantissent une gestion dynamique du consentement pendant les impros, par exemple le principe du « 80/20 » : pour jouer sur scène un contact intime (baiser, câlin, bagarre…), l’artiste qui en est à l’initiative fait 80% du chemin, et laisse à son ou sa partenaire la liberté de faire les 20% restants.

  3. Le cercle de consentement doit s’inscrire au sein d’un ensemble cohérent d’outils en faveur de la confiance et de la protection des participant·e·s

    Ce n’est pas un outil miracle, et aucun outil ne l’est.

    Dans le cas qui nous occupe, il ne portera ses fruits que s’il s’inscrit dans un effort commun du collectif d’improvisation, un effort commun qui se décline sous de nombreuses formes : communication interne et externe, formations, charte des valeurs, code de conduite, référent·e·s internes et externes, espaces de dialogue et de réflexion, protocole de recueil de témoignages…

    Pour un aperçu de ces différents outils, je vous renvoie vers la série d’articles « OUI ET alors » ou le livre du même nom. La FBIA a également mis en ligne sa charte des valeurs et son protocole d’accueil de la parole.

Références :

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