TW : cet article reste essentiellement théorique, mais il aborde des sujets ou des thématiques qui sont susceptibles de choquer ou mettre mal à l’aise les personnes sensibles.
On voit peu d’improvisation horrifique ! En tout cas en dehors de propositions parodiques et comiques comme la catégorie « film d’horreur » en match d’improvisation, qui bien souvent ne font pas peur du tout.
Pourtant, le théâtre improvisé peut constituer un médium de choix pour véhiculer la peur ! En effet l’improvisation se caractérise par une incertitude fondamentale : ni le public ni même les artistes ne savent ce qui va se passer pendant le spectacle. De quoi frissonner non ?
Pourtant, paradoxalement, l’art de l’horreur ne s’improvise pas ! Il faut en effet en maîtriser finement les mécanismes pour parvenir à faire réellement peur aux spectateurs et spectatrices. Cela demande du travail consciencieux. Comme je l’avais écrit dans les débuts de ce blog, le plus difficile en impro, c’est de ne PAS faire rire.
Alors comment faire ? Voyons cela d’un peu plus près !
1. Qu’est-ce que l’horreur ?
Dans cet article, je définis l’art de l’horreur de la façon suivante : une œuvre qui fait ressentir aux récept·eur·rice·s le danger qui menace un ou des personnages. L’horreur se distingue du malaise, en ce que le danger en question constitue une menace pour l’intégrité physique et psychique du personnage. En effet on peut ressentir une très forte peur, mais si cette dernière concerne par exemple la perception sociale ou le statut social du personnage (peur de se ridiculiser, de se ruiner, de perdre son emploi, l’amour de son ou sa partenaire ou son statut social), on se situe dans le domaine du malaise ou du drame. Avec l’horreur, c’est l’intégrité physique et psychique du personnage qui est en jeu : ce dernier est menacé de mort, de blessure, de torture, de viol ou de perte de son intégrité mentale.
On peut distinguer deux catégories d’horreur : l’horreur sociale et l’horreur surnaturelle. L’horreur sociale repose sur la menace représentée par des êtres humains, et l’horreur surnaturelle implique des monstres ou des éléments fantastiques. Nous y reviendrons un petit peu plus en détail dans la suite du texte.
2. Comment fonctionne l’horreur ?
L’art de l’horreur et celui du malaise partagent plusieurs mécanismes clés. Aussi, je vous conseille, si le sujet vous intéresse, de vous plonger dans la série d’articles que j’avais consacré au malaise et à l’étrange (épisode 1, 2 et 3). Plein de choses utiles pour improviser l’horreur s’y trouvent !
L’empathie

Tout d’abord, l’empathie est fondamentale dans l’horreur ! Le public doit absolument se sentir solidaire du personnage principal pour ressentir véritablement de la peur. Si nous n’éprouvons pas d’empathie pour les personnages, nous basculons dans un registre différent, le grand guignol ou le gore par exemple. Le spectacle devient alors plutôt d’un exutoire cathartique de pulsions socialement réprimées. Le public peut en effet ressentir un certain plaisir sadique à voir des personnages antipathiques souffrir et se faire tuer. Le genre cinématographique du Slasher movie, par ses caractéristiques très stéréotypées, rend ce mécanisme bien visible. Dans un slasher typique, un tueur masqué massacre progressivement une bande de personnages. En général un seul d’entre eux, souvent une femme, réussit à échapper au tueur. Il s’agit de la « final girl« . Cette fille est une personne « normale », et constitue en général le seul personnage du film pouvant pleinement bénéficier de l’empathie des spectat·eur·rice·s. Les camarades de la final girl sont typiquement con·ne·s ou antipathiques (ados débiles et insupportables par exemple). Ces personnages secondaires sont donc « sacrifiables » et vont pouvoir être massacrés tout au long du film, sans que les spectat·eur·rice·s éprouvent un malaise trop important. Leur mort remplit ainsi deux fonctions : 1/ assouvir un plaisir sadique avec des meurtres de préférence gores et inventifs et 2/ matérialiser un danger de mort afin que l’on éprouve de la peur pour l’héroïne principale.
Vous devez retenir ces règles fondamentales : si le personnage principal est antipathique ou si le danger n’est pas crédible, votre scène ne fera pas peur. Vous devez donc installer un jeu d’acteur et des caractères de personnages crédibles et sincères si vous voulez proposer de l’horreur au premier degré. Dans le cas contraire, vous ferez de la parodie (ce qui peut être aussi très sympa à faire et à regarder) !

Si le faux documentaire est l’apanage des films et séries « cringe » (cf. article dédié), les récits d’horreur post années 1990 affectionnent particulièrement la forme du « found footage » (visionnage de captations vidéos directement réalisées par les personnages, cf. Blair Witch, Paranormal Activity, REC…), et ceci pour les mêmes raisons : en donnant l’illusion de la réalité brute, avec des images filmées à la première personne, vous garantissez une empathie maximale du public avec les personnages.
Ce procédé n’est pas accessible au théâtre, sauf à mettre en scène des meurtres se produisant en direct en pleine représentation théâtrale. Si vous voulez vous assurer de l’empathie et de la sincérité maximales de la part du public d’impro, vous pouvez cependant opter pour un spectacle immersif : vous faites alors des spectat·eur·rice·s les personnages principaux de votre histoire, en les faisant déambuler dans un lieu maléfique : maison hantée, forêt infestée de zombies, etc… Si vous disposez des moyens nécessaires à une telle organisation. Terreur non feinte garantie !
Les enjeux concernant le personnage principal réceptacle de l’empathie peuvent être de trois ordres (en général ils apparaissent assez naturellement) : 1/ résoudre un mystère 2/ protéger les personnes qu’on aime 3/ survivre. A noter que les enjeux peuvent évoluer et se cumuler au sein d’une même histoire (souvent dans l’ordre de 1 à 3).
Les tabous
L’horreur sociale (pour rappel, impliquant un danger d’origine humaine) se rapproche aussi de l’art du malaise car elle repose sur la transgression de normes sociales. La frontière entre malaise et horreur est alors une question de degrés : dans le malaise, les normes sociales sont transgressées, tandis que dans l’horreur, ce sont des tabous qui sont ou risquent d’être brisés : la violence physique, le meurtre, le viol, la torture.
De ce fait, si vous choisissez de représenter explicitement ces tabous sur scène, vous devrez réserver votre spectacle à un public averti et adulte, et travailler tout particulièrement la crédibilité de leur mise en scène, pour ne pas tomber dans la parodie ou la « gênance » (sauf si c’est ce que vous recherchez bien sûr! ).
La perte de repères et de contrôle
Les spectat·eur·rice·s de films d’horreur et les improvisat·eur·rice·s sont exposées à une source de peur commune : la perte de repères et de contrôle. En horreur comme en impro, nous ne contrôlons plus vraiment la situation : nous sommes exposés à beaucoup de facteurs d’incertitude.
A ce titre, l’horreur repose beaucoup sur la peur de l’inconnu et de l’étranger. Tout ce qui ne nous est pas familier peut être source d’horreur. C’est un mécanisme privilégié dans les œuvres d’horreur surnaturelle, même si on le retrouve aussi à l’œuvre dans l’horreur « sociale ».
En retenant ce critère, on peut distinguer trois catégories d’horreur : l’horreur « bourgeoise », l’horreur « xénophobe » et l’horreur « complotiste » (j’ai choisi ces termes parce qu’ils sont suffisamment frappants pour être retenus. Sachez que je ne considère pas l’horreur comme un genre réactionnaire ! Ce genre s’appuie cependant sur des réflexes de conservation qu’il est intéressant de conscientiser).
- L’horreur bourgeoise repose sur le sentiment de propriété et de sécurité. Nous avons un foyer et des biens qui constituent notre « espace safe », et dont nous voulons conserver l’intégrité. Beaucoup de récits et films d’horreur reposent sur l’invasion de la bulle d’intimité et de sécurité des personnages principaux. Les « home invasion movies » sont d’ailleurs une catégorie spécifique de films d’horreur qui décrit l’intrusion d’individus violents ou de monstres dans la demeure du personnage principal. Quelques exemples : Halloween (1978), la scène d’introduction de Scream (1996), Ils (2007), Paranormal Activity (2009), American Nightmare/The Purge (2013), Traquée (2023), ou dans un genre un peu plus exotique Alien, le 8e passager (1979).
- L’horreur xénophobe repose sur le fait de plonger un personnage dans un univers qui lui est totalement étranger et dont il ne maîtrise pas du tout les règles. Beaucoup de films d’horreur reposent sur le fait de « dépayser » les personnages en les envoyant dans un environnement au fonctionnement mystérieux et potentiellement hostile, comme une forêt abritant une sorcière (Blair Witch, 1999), une secte païenne et isolée (The Wicker Man, 1973 ou Midsommar, 2019), un château hanté (Nosferatu, 1922), une cabane au fonds des bois (Evil Dead, 1983), un coin paumé et peuplé de « ploucs » (Deliverance, 1972, La Colline a des yeux, 1977, 2006, Wolf Creek, 2005), un hôtel désert construit sur un ancien cimetière indien (The Shining, 1980), une planète désolée infestée de xénomorphes (Aliens, 1986), une dimension parallèle abritant des Dieux terribles (dans les nouvelles de H. P. Lovecraft, comme par exemple Les montagnes hallucinées, 1936), voire une belle-famille bourgeoise un peu zinzin (Wedding Nightmare, 2019). Une autre variante de l’horreur xénophobe est de soumettre la société que nous connaissons à un chaos absolu, un bouleversement extérieur qui vient renverser les règles établies de la civilisation : récits d’apocalypse zombie comme 28 jours plus tard (2002) ou The Walking Dead (2010-2022), d’invasion d’aliens comme Cloverfield (2008) ou Pas un bruit (2016), de guerre civile comme American Nightmare (2013-2021).
- L’horreur complotiste repose sur le fait de faire planer le doute sur le familier : et si nos proches n’étaient pas ce qu’ils semblaient être ? S’ils dissimulaient un terrible secret, étaient atteints d’un mal les rendant imprévisibles et dangereux, ou bien si une créature hostile avait pris leur apparence ? Vous pouvez vous référer à des films et séries comme The Shining (1980), The Thing (1982), Alien (1979), Twin Peaks (1990-2017), les films de zombie, loup garous ou vampires, ou les thrillers paranoïaques de type « whodunit » qui reposent sur une question simple : où se cache parmi nous un assassin ? Dans les archétypes théorisés pour le « voyage du héros », cela implique la figure du « shapeshifter« , ou personnage protéiforme (cf. Il sera une fois).
L’improvisation, du fait de ses moyens limités (pas de décors ni de costume ou accessoires adaptés à toutes les possibilités de récits) repose beaucoup sur la suggestion, vous aurez donc intérêt à utiliser largement l’implicite et le hors champ. Des procédés comme le théâtre d’ombres peuvent y contribuer (cf. Petits meurtres et malédictions, Horror Stories).
Quand vous investissez l’explicite, vous devrez générer efficacement le sentiment d’étrangeté qui nourrit l’horreur. Des outils comme les masques et les marionnettes peuvent vous aider à basculer plus facilement dans la quatrième dimension, la dimension de l’étrange. Ce n’est pas pour rien que la plupart des tueurs des films de type slasher sont muets et portent des masques : tout est fait pour en faire des créatures situées en dehors de l’univers social quotidien : aucun dialogue n’est possible, aucun lien empathique ne peut être établi : ce sont des étrangers absolus, des archétypes de l’altérité, des monstres.

Crédit « Horror Stories » par Black Stories Impro
Le romancier Stephen King classifie les trois émotions que le genre horrifique peut provoquer :
- La terreur, qu’il juge la plus noble, consiste à effrayer en faisant simplement appel à l’imagination, sans que le surnaturel ne soit montré. Donnez-vous en à cœur joie en improvisation !
- L’horreur, stade intermédiaire où la manifestation monstrueuse qui cause la terreur est révélée. C’est plus délicat à concrétiser en spectacle d’improvisation mais cela se fait, comme décrit plus haut.
- La révulsion, consistant à choquer par la description détaillée d’actes ou d’êtres horribles, et que Stephen King reconnaît employer quand il ne peut faire autrement. En improvisation, nous manquons souvent de moyens techniques pour provoquer la révulsion de manière crédible (trucages, faux sang, prothèses). Je vous conseille donc d’éviter ce domaine sauf si vous disposez de moyens conséquents.

3. La boîte à outils de l’horreur : mystère, suspense, angoisse
La mécanique de l’horreur
Sur le papier, la mécanique de l’horreur est assez simple : 1/ générer de l’empathie pour un personnage et ensuite 2/ mettre ce personnage en danger.
L’horreur repose cependant sur des effets de mise en scène et des mécanismes un peu plus complexes, qui permettent au récit de déployer pleinement ses effets sur les spectat·eur·rice·s. Il s’agit dans un premier temps de générer de la tension, et de la faire ensuite soudainement se résoudre (ou pas du tout).
L’horreur se nourrit donc de mystère, de suspense et d’angoisse. Quelle différence entre ces trois concepts ? Voyons cela plus en détail !
Le Mystère
Le mystère est un élément essentiel à toute histoire. C’est en tout cas le point de vue partagé par David Lynch et Keith Johnstone (cf. article leur étant consacré). Keith Johnstone écrit notamment dans son ouvrage Impro for Storytellers (1999) « Placez n’importe quoi ou n’importe qui sur une scène, et les spectat·eur·rice·s vont se demander : mais pourquoi devrions-nous nous intéresser à cela? (…) Tout ce que vous proposerez sera accueilli comme un mystère à résoudre« . Le public, dans un film comme dans une scène improvisée, se dira (à raison) que ce qui se passe devant ses yeux n’est pas dû au hasard : il y a une raison bien particulière à ce qu’on me présente cela. Le cerveau humain ne peut s’arrêter de projeter du sens et de construire de la narration. De ce fait, il est possible de captiver une salle pendant plusieurs minutes avec une personne qui attend sur une chaise (les clowns le font très bien). L’action la plus banale peut ainsi devenir très intrigante.
En dehors du mécanisme « naturel » de l’improvisation, une troupe peut travailler spécifiquement le mystère, en mobilisant différentes techniques :
- disparition ou absence d’un élément : un ou des personnages remarquent ou s’inquiètent de l’absence ou de la disparition d’un élément. Cela peut être :
- un objet (une mallette avec des indices précieux a disparu)
- un personnage (la personne qui travaillait ici ne s’y trouve plus, quelqu’un a disparu sans prévenir personne)
- un élément plus abstrait (quelqu’un a perdu la mémoire sur ce qui s’est passé la veille au soir, se souvient confusément d’une chose importante à dire mais n’arrive pas à se souvenir, etc)
- anormalité : un ou des personnages remarquent que quelque-chose a changé ou n’est pas comme il devrait être (décoration, personne en charge, disposition des lieux) par rapport à d’habitude, ou à leurs souvenirs. Il faut alors entretenir le doute sur la réalité de l’altération (s’agit-il d’un souvenir erroné, d’un délire psychotique, ou cela a vraiment changé ?) et établir clairement que ce changement perturbe ou met mal à l’aise le(s) personnage(s).
- interdit : quelqu’un formule clairement un interdit (beaucoup d’histoires mythologiques comme policières reposent sur une interdiction d’ouvrir un contenant ou d’entrer dans un lieu précis), ce qui génère automatiquement de l’envie chez l’autre personnage, et les spectat·eur·rice·s (mécanique classique présente dans les mythes et les contes, cf. récits de la génèse, du mythe de Pandore, de Barbe bleue… jusqu’aux films policiers et fantastiques modernes)
- tabou délibéré : un personnage indique clairement qu’il ne faut pas parler de telle ou telle chose, ou que telle chose est trop confidentielle/mauvaise/néfaste/maléfique pour être divulguée à l’autre personnage. Comme pour l’interdit, cela génère de la frustration et de l’envie, mélé d’effroi, pour l’autre personnage mais aussi pour les spectat·eur·rice·s (cf. la réplique « we don’t talk about Judy » de David Bowie à ses collègues du FBI dans le film Twin Peaks puis dans la saison 3 de la série. Dans Harry Potter, Voldemort est tout d’abord mentionné comme celui « dont on ne doit pas prononcer le nom »).
- allusion non explicite : au contraire des mécanismes précédents, un personnage est allusif et peu clair dans son propos, ce qui génère de la frustration et de l’envie chez les spectat·eur·rice·s et parfois aussi le personnage (mais ce dernier peut-être dans la confidence et comprendre l’allusion). Exemples : allusions aux affaires « Blue Rose » dans le film Twin Peaks et la saison 3, ou des allusions à des affaires précédentes, des personnages ou des lieux inconnus pour les spectat·eur·rice·s : « ce crime rappelle l’affaire Teresa Banks » dans le premier épisode de Twin Peaks par exemple. Cette allusion peut ensuite être éclaircie dans la suite de l’œuvre ou de la scène (l’explication de la « danse de la dame en rouge avec la rose bleue » est donnée à l’inspecteur ingénu dans le film Twin Peaks, mais cette explication garde un aspect non révélé, cf. la technique du tabou délibéré supra).
- personnage secret : c’est un classique des films policiers ou d’espionnage : un personnage apparaît aux spectat·eur·rice·s mais reste non identifiable (voix mystérieuse au téléphone, visage restant dans l’ombre, silhouette cachée par un fauteuil ou cadrée sur ses seules mains, etc). C’est fréquemment un personnage de pouvoir qui apparaît menaçant ou malfaisant. Son identité ne sera révélée que bien plus tard dans l’histoire – ou jamais.

Le mystère a principalement une fonction d’impliquer les spectat·eur·rice·s dans l’histoire. Même si un mystère n’est pas résolu, il n’est pas frustrant quand le public reste de facto solidaire des personnages : c’est-à-dire quand ces derniers sont tout aussi perdus que lui !
Le suspense
Si le mystère peut correspondre à une ambiance ou à une situation de manque d’information, le suspense se définit quant à lui comme une tension liée à un événement à venir, et plus particulièrement à une épreuve que traverse le ou les personnages qui bénéficient de notre empathie. Cette épreuve doit apparaître :
- nécessaire (on ne peut pas s’y soustraire, c’est important, indispensable)
- certaine dans son avènement (on n’y échappera pas)
- et incertaine dans son issue ou dans son échéance (c’est risqué/dangereux et on ne sait pas exactement quand cela va s’abattre sur le personnage).
Résultat : le public se dit « Oh là là mais que va-t-il se passer ? » en s’accrochant à son siège.
L’incertitude dans la temporalité de l’épreuve est importante dans la mécanique des « jump scares« : on sait que quelque-chose va surgir, dans pas longtemps, mais on ne sait pas quoi et quand exactement. Vous pouvez faire une expérience pratique très simple : gonfler un ballon de baudruche lentement jusqu’à éclatement. On a la certitude qu’à un moment il va éclater, mais on ne sait pas quand : résultat on se crispe et on plisse les yeux. La tension disparaît immédiatement après l’éclatement. Une bonne pièce d’horreur doit arriver à recréer cette situation expérimentale dans son récit. Pour cela, intégrer explicitement des événements dépendant totalement du hasard marcherait très bien. Je verrais bien une séance du spectacle Aléas adoptant une thématique horrifique par exemple (cf. articles abordant les vertus de l’aléatoire et le spectacle Aléas).

crédit blog objets publicitaires
Le suspense peut concerner une épreuve « ordinaire » (séance d’examen scolaire ou médical, étape à enjeu pour une carrière professionnelle, premier date avec l’intérêt amoureux du personnage) ou plus extraordinaire (confrontation avec un maître chanteur, un gangster mystérieux, une secte dangereuse, des forces occultes…). L’histoire peut donc ménager une gradation dans les caractéristiques des épreuves traversées par les personnages pour faire monter la tension tout au long du spectacle. Tout simplement faire monter les enjeux !
Les musicien·ne·s qui accompagnent le spectacle doivent apprendre à reconnaître ces séquences pour les souligner et accompagner la montée en tension via l’ambiance sonore. On est ici plutôt sur un crescendo, une évolution progressive de la musique vers un état de tension maximal.
Vous pouvez créer du suspense en utilisant à bon escient l’ironie dramatique : c’est-à-dire faire en sorte que les spectat·eur·rice·s détiennent des informations dont ne disposent pas les personnages. Typiquement, vous pouvez informer les spectat·eur·rice·s de l’existence d’un danger mortel vers lequel se dirige le personnage principal, lequel ignore tout du péril qui le menace.

Vous le voyez, le suspense est donc un jeu méta ! Vous devez franchir le 4e mur pour embarquer le public dans l’aventure et le mettre un peu en insécurité.
L’angoisse
L’angoisse, comme le mystère, peut se définir comme une ambiance, une situation, un état. Elle se compose de deux ingrédients : l’anormalité et la longueur (l’angoisse est lancinante et s’étend sur la durée).
L’ambiance angoissante reposera essentiellement sur le jeu des comédien·ne·s et des musicien·ne·s. Les personnages doivent apparaître mal à l’aise, inquiets voire paniqués, mais sans raison particulièrement explicitée. L’ironie dramatique est alors inversée : les personnages savent des choses que le public ignore. Le rythme des dialogues ou le contenu peut aussi apparaître légèrement artificiel, pour donner une impression d’étrangeté, que « quelque-chose qui déconne ». Pour plus de précisions sur l’étrange, je vous renvoie à l’article qui lui est dédié.
L’angoisse se nourrit particulièrement de l’utilisation de l’ambiance sonore et musicale. Les musicien·ne·s doivent ici expérimenter une ambiance lancinante reposant sur des nappes sonores, un « bruit de fond » plutôt « rampant » et continu, sans miser sur le crescendo typique du suspense.
Etienne Jeannot, qui a écrit Les Stratégies de la peur dans le cinéma d’horreur, fait de l’angoisse un pivot de sa théorie. Il distingue en effet l’angoisse, qui constitue une préfiguration lancinante du danger, et l’effroi (ou l’horreur) qui en constitue la matérialisation soudaine et crue.
Conclusion : less is more !
Le célèbre romancier Stephen King considère que la radio est, pour diffuser l’horreur, un média supérieur au cinéma ou à la télévision car il fait plus appel à l’imagination.
C’est une leçon fondamentale à retenir pour les récits d’horreur, et pour l’impro en particulier : tout ce qu’on ne voit pas ou ne comprend pas, on se l’imagine, et c’est le meilleur moteur pour l’horreur !
En impro horrifique, le hors champ et l’implicite seront donc vos meilleurs amis. Utilisez-les abondamment et sur une bonne part du spectacle. L’horreur demande un temps suffisant d’installation.
Ne conservez l’explicite que pour des moments clés, des climax servant de révélation et d’éclatement des tensions préalablement et minutieusement établies.
Voilà, j’espère que cet article vous aura donné toutes les clés pour vous permettre de répandre la peur et l’angoisse dans les salles obscures de nos théâtres !
Pour aller plus loin :
Articles :
- Comment faire pour ne pas être drôle ?
- Improviser à la manière de David Lynch
- Les secrets du cringe
- Comment s’épanouir dans l’étrange
- La boîte à outils du malaise
- Les Stratégies de la peur dans le cinéma d’horreur
Étienne Jeannot pour son livre « Les Stratégies de la peur dans le cinéma d’horreur » - Impro Bretagne – A la manière d’un slasher
- Impro Bretagne – A la manière d’un film de zombies
- Black Stories Impro – A la manière d’un film d’horreur
Références et captations de spectacles :
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