
J’ai assez peu pratiqué le clown mais j’aime beaucoup cette discipline, et je pense qu’elle a beaucoup à apporter à l’improvisation théâtrale ! Je vous en propose un aperçu express, mais le mieux sera d’aller voir des spectacles de clown bien sûr.
Pour moi, le personnage de clown est fondamentalement défini par le jeu. L’artiste clown adopte une approche ludique envers quasiment tout ce qui peut l’affecter : son intériorité comme son environnement extérieur.
Par « jeu », j’entends toutes les définitions que peut recouvrir ce terme : expérimenter, tester, s’amuser… A ne pas oublier, en mécanique, le « jeu » se définit comme l’espace laissé entre deux pièces assemblées imparfaitement. Je crois que ça s’applique parfaitement à l’art des clowns, qui me semble s’épanouir dans cet espace d’imperfection qu’on a trop tendance à vouloir faire disparaître… Mais commençons par un petit rappel historique.
Les origines du clown
Le mot clown vient du terme germanique Klönne signifiant « homme rustique, balourd », dérivé d’un mot qui désignait, à l’origine, une « motte de terre ». Etymologiquement parlant, le·la clown est donc un être non encore pleinement façonné par les divinités ou par les normes de la société humaine.
Même si on peut lui identifier des ancêtres comme les masques burlesques du théâtre grec antique ou les personnages de la Comedia dell arte, la figure de clown serait apparue pour la première fois au XVIIIe siècle en Angleterre, dans les cirques équestres : les directeurs de ces établissements engagèrent des garçons de ferme qui ne savaient pas monter à cheval pour faire patienter le public entre les performances des véritables cavaliers. Installés dans un rôle de serviteur benêt, ces garçons fermiers faisaient rire autant par leurs costumes rustres de paysans que par les postures comiques qu’ils adoptaient, parfois à leurs dépens.
Le personnage de clown s’est ensuite installé au programme des cirques, entre les « vrais » numéros, dont les clowns proposaient souvent des répliques parodiques et maladroites.
1. Jouer avec l’échec : subvertir la notion de performance
On le voit, le personnage de clown est apparu comme un « jeu » entre les rouages principaux de la mécanique du spectacle de cirque. Et s’il parodiait les numéros des autres artistes, le rire restait toujours dirigé vers lui, qui en constituait la réplique ridicule. Le personnage de clown ne fait pas rire aux dépens des autres. Il fait rire de lui et avec lui. En effet, le rire généré par un·e clown est un rire de tendresse. La figure de clown nous rappelle que la perfection n’est pas la norme, et que c’est très bien comme ça.
En ce sens, les héritier·e·s modernes des clowns peuvent être reconnus chez les comiques qui reprennent sur Tik Tok ou Instagram les vidéos ou photos « stylées » qui inondent ces réseaux, mais de façon beaucoup plus maladroite et « humaine » :

Si le personnage de clown apparaît comme maladroit, l’artiste clown en revanche doit faire preuve d’une agilité et d’un savoir faire technique très poussé. L’art du clown demande d’être un·e sporti·f·ve accompli·e, en pleine possession de son propre corps et de ses capacités.
« Le clown est un acteur qui possède parfaitement ses moyens tout en faisant semblant de ne rien maîtriser »
Peter Bu
Cela peut se voir dans les spectacles de clowns, qui inversent souvent la notion d’exploit et de performance, dans une logique carnavalesque :
« Les clowns ratent ce que nous réussissons aisément et réussissent ce que nous ratons d’ordinaire. »
Philippe Goudard
L’artiste clown Avner Eisenberg fait d’ailleurs figurer parmi ses quatorze « principes excentriques » le conseil suivant :
« Trouver des façons simples d’accomplir des tâches compliquées, et des façons compliquées d’accomplir des tâches simples »
Avner Eisenberg
Ainsi il n’est pas rare de voir un·e clown galérer pendant de longues minutes pour parvenir à s’assoir sur une chaise (et se faire triomphalement applaudir quand il·elle y parvient au prix de lourds efforts), et par ailleurs faire un saut périlleux arrière lorsqu’il·elle éternue quelque temps plus tard (une acrobatie qu’il·elle ne relèvera pas le moins du monde car elle constituera pour elle·lui un réflexe tout à fait banal).
L’art des clowns nous aide à relativiser la notion de performance, d’exploit et de talent : tout est relatif, et chaque acte du quotidien peut constituer une aventure épique, aussi bien que la plus incroyable des acrobaties !
2. Jouer avec soi et les autres : exacerber son intériorité
Un·e clown est un être hypersensible, qui partage avec le public et ses comparses toutes les émotions qui le·la traversent, la plupart du temps sans même prononcer un mot.
Le jeu clownesque mobilise quasiment toutes les capacités cognitives de l’artiste : la mémoire, les actions physiques, les perceptions, l’expression. C’est à travers elles que se construisent les interactions avec les spectat·eur·rice·s, les partenaires, les objets, l’espace.
Un·e clown réagit à ce qui le·la traverse, et c’est cette réaction qui sera motrice du jeu. Chaque étape d’un numéro de clown est propice à lancer un parcours épique fait d’actions et de réactions : entrée en scène, accueil de ce qui vient, partage de la posture avec le public, exagération des attitudes, gags, développement d’une intrigue, sortie de scène.
Comment le.la clown développe ce jeu, trouve le bon rythme et captive le public ?
- Par les mécanismes de jeu qui sont par ailleurs largement enseignées en improvisation théâtrale :
1. être en posture d’écoute active de tout ce qui survient ou existe sur le plateau
2. prendre conscience de tout ce qui est remarqué ou fait par le·la clown
3. construire des ressorts de jeu, ou « game » dans la langue de Margot Robbie, par les voies suivantes : exagération, répétition, inversion - Par l’absolue sincérité du personnage, qui regarde très régulièrement le public, lui partage ses états d’âme, en fait son principal partenaire. Par ce biais, l’empathie avec les spectat·eur·rice·s est complète et le rythme de jeu sera pertinent car en résonnance avec ce que vit le public.

La sincérité de notre clown fonctionne quand le personnage est bien issu de notre propre personnalité, exagérée et façonnée en un être singulier et unique. L’artiste clown développe sa capacité à utiliser ses faiblesses intimes pour faire rire. Le travail du clown est ainsi un parcours de connaissance de soi. A partir de nos traits de personnalité, nous pouvons appliquer les mécanismes du « game » (exagération, répétition, inversion) et « trouver » notre clown.
3. Jouer avec la norme : cultiver son excentricité
Les clowns sont des personnages fondamentalement excentriques, c’est-à-dire qui s’écartent de la norme.
En génie mécanique, un mécanisme « excentrique » est celui qui fait dévier une pièce par rapport à l’axe de rotation. En spéléologie, une concrétion « excentrique » se forme à angle droit, en rupture avec le processus naturel des stalactites et des stalagmites. L’excentrisme est un phénomène de déviation. Mais cette déviation n’existe que par référence à la trajectoire à laquelle elle contrevient.
La figure de clown nous parle de la norme, en passant son temps à la subvertir et la briser. Un·e clown est souvent « trop » : trop bruyant·e, trop peureu·x·se, trop enthousiaste, trop maladroit·e, trop familier·e, trop fort·e, trop perfectionniste, etc… Quitte à chambouler les normes de la bienséance.

Cette excentricité n’est pas qu’une caractéristique sociale, cela s’applique aussi aux lois de la physique : les clowns sont souvent dans un état de déséquilibre suivi de retour à l’équilibre, ou à un déséquilibre opposé.
Cette notion a notamment développée par Jacques Lecoq dans sa pédagogie du théâtre, du masque et du mime : une personne qui lève un fardeau avec un bras étendra naturellement l’autre bras, et si cela ne suffit pas à faire contrepoids, elle courbera le corps autant qu’il faut. L’art du mouvement doit toujours mobiliser les notions de compensation, d’alternance, d’appel, de rythme et d’espace. L’équilibre et le déséquilibre sont donc au centre du « rejeu », première étape de l’apprentissage des comédien·ne·s, et des principes de la dramaturgie.
Voilà, vous savez à la fois beaucoup sur l’art du clown et il vous reste encore tout à découvrir ! Il n’y a plus qu’à trouver votre propre clown et déployer votre jeu là où votre instinct vous guidera 🤡
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