Cet article a été rédigé par Stephen Davidson (article originel ici) et traduit par mes soins. Merci à son aimable autorisation pour qu’il puisse être partagé sur ce site !
Cet article fait suite au précédent billet consacré à la façon de repérer les personnes problématiques. Nous allons voir cette fois-ci ce que l’on peut faire quand on se trouve confronté·e à un cas de maltraitance.
[ndt : je définis maltraitance comme une action causant du tort à une personne, quelle que soit l’intention initiale de la personne ayant réalisé l’action en cause, cf. OUI ET ALORS? Le consentement en Impro (2/4)]
Dans beaucoup de situations la clé est de savoir pardonner, mais il faut garder à l’esprit que l’on doit avant toutes choses garantir la sécurité de son groupe. Et quand on attache comme moi une grande importance au fait de pouvoir pratiquer notre art en toute sécurité, cela peut être rageant de voir des agresseurs récidivistes se retrouver encore et encore sous les projecteurs, grâce à leur bagout et à leur entregent.
Mais concrètement, dans quel cas peut-on pardonner et oublier, et dans quel cas doit-on se montrer ferme vis-à-vis d’une personne responsable d’une maltraitance ?
Prenez les signalements au sérieux
Tout d’abord je tiens à rappeler que dans les affaires de harcèlement et d’agression, les configurations dans lesquelles les victimes présumées donnent des faux témoignages sont statistiquement extrêmement rares.
A fortiori si plusieurs personnes se sont plaintes d’un même agresseur, partez du principe que leurs témoignages sont sincères et valides, et résistez à toute envie de vous dire (ou pire, de leur dire) que cela n’est pas si grave.
Sachez recevoir les excuses sincères
Ensuite je voudrais parler de ce qui peut constituer une excuse satisfaisante. Le magazine Psychology Today a défini une bonne excuse selon cinq critères :
- La personne déclare explicitement « je suis désolé·e »
- Elle exprime des remords par rapport à ce qui s’est passé
- Elle indique avoir pris conscience d’avoir enfreint des normes ou des bienséances sociales
- Elle exprime son empathie envers l’autre personne, en reconnaissant l’impact négatif qu’ont pu avoir ses actes
- Elle demande pardon à l’autre.
Pardonner à quelqu’un qui exprime des excuses sincères et qui se déclare prêt à apprendre de ses erreurs procure un sentiment très réconfortant. Et c’est également très réconfortant d’être pardonné·e quand on est véritablement désolé·e et que l’on est prêt·e à apprendre de ses erreurs. La perfection n’est pas de ce monde. On ne devrait pas l’exiger de soi-même ni des autres. Les individus et les groupes ont une immense capacité à mûrir et s’améliorer, et quand cela marche c’est juste magnifique. Imaginez tout le bien que l’on peut se prodiguer mutuellement quand on s’entraide de cette manière ! L’impro est une discipline qui nous apprend à s’adapter, à écouter, à témoigner de l’empathie, nous donne plein de clés pour gagner en maturité et sérénité. Elle nous apprend aussi que c’est OK de merder ! Je ne veux pas du tout que mes articles soient lus comme une invitation à culpabiliser sur nos erreurs passées ou à exclure des gens pour des maladresses qui pourraient être réparées simplement à la suite d’une conversation franche et sincère.
Pour moi, la décision d’exclure ou non une personne du groupe dépend de sa réaction à la discussion que l’on peut engager avec elle. Si elle défend farouchement ses actes, minimise leur gravité, se présente comme la véritable victime dans l’affaire, ne semble pas comprendre où se situe le problème, ou plus globalement ne comprend pas ou se fiche de savoir quelles ont été les conséquences de ses actions (quelle qu’ait été son intention initiale) je n’ai tout simplement pas intérêt à lui pardonner.
Ma capacité à pardonner dépend de la confiance que je peux avoir en l’absence de risque de récidive de l’acte de maltraitance.
Osez la confrontation
Les improvisat·eur·rice·s cherchent souvent à être ami·e·s avec tout le monde, parce que notre communauté est composée principalement de personnes bienveillantes et chaleureuses, mais aussi parce que notre carrière repose souvent sur la qualité de nos relations et la solidité de notre réseau. Dans ce contexte, ce sera toujours plus facile de détourner les yeux face à un mauvais comportement, plutôt que d’aller se confronter à l’autre, au risque de perdre une amitié et peut-être une opportunité artistique ou professionnelle.
Mais voudrions-nous vraiment continuer de jouer avec quelqu’un qui met les autres mal à l’aise ou pire les met en danger ? Est-ce que cela vaut vraiment le coup de rester dans une compagnie qui cartonne mais au sein de laquelle on se sent mal ? Personnellement je pense qu’un tel jeu n’en vaut pas la chandelle.
Cela peut s’avérer très difficile de refuser son pardon à quelqu’un, de lui imposer une sanction ou de prononcer une exclusion temporaire, si on n’a jamais été amené à prendre des décisions de ce type. Mais les relations saines et durables, en amour comme dans une troupe, nécessitent une bonne communication, de l’empathie et de la maturité. Si quelqu’un prouve à plusieurs reprises qu’il n’est ni enclin ni capable de faire preuve de ces qualités, que peut-on dire de la troupe qui accepte de le garder en son sein ?
Nous façonnons nos troupes à notre image, et nous les refaçonnons à chaque fois que nous prenons une (non) décision de ce type.
Un·e « pro » n’a pas à tout endurer
La notion de « professionnalisme » semble grandement varier suivant la troupe dans laquelle on se trouve.
Pour moi, le « professionnalisme » suppose entre autres de se montrer fiable, capable de conduire une conversation mature et responsable et de témoigner du respect envers ses camarades et envers ses élèves. Mais j’ai entendu des membres d’autres troupes que la mienne, et parfois certains vétérans au sein de ma propre troupe, relayer l’idée que le professionnalisme consistait principalement à savoir « encaisser » certains comportements. J’ai entendu beaucoup d’improvisat·eur·rice·s affirmer qu’un·e comédien·ne « professionnel·le » devait être capable de se laisser embrasser, toucher, embarquer dans n’importe quel thème, ou même gifler sur scène.
Je pense personnellement que cette vision des choses est dépassée et malsaine, mais je ne suis pas responsable de la façon dont mes homologues gèrent leur troupe. Si jamais vous partagez cette vision, merci de l’afficher clairement, de telle sorte que vos nouvelles recrues ne soient pas prises au dépourvu (et dans ce cas personnellement je choisirais de ne pas me rendre dans votre théâtre ou votre compagnie).
Prévoyez comment gérer les actes répréhensibles

J’ai intégré à cet article un logigramme qui décrit comment j’agis quand je suis confronté à des comportements que je juge inacceptables. Vous remarquerez que je n’ai pas défini ou listé quelles actions devaient être considérées inacceptables, parce que les normes en la matière peuvent considérablement varier d’une culture ou d’une organisation à une autre. Je pense que chaque troupe devrait définir des règles en cohérence avec ses propres valeurs (Cf. mon chapitre dédié à la façon d’écrire son propre règlement intérieur dans le livre du collectif SIN). Et je pense que chaque troupe devrait prévoir une procédure permettant de gérer les infractions à ces règles, que ce soit ma méthode ou une autre.
Nous devons identifier et confronter les personnes dont le comportement n’est pas approprié, c’est dans l’intérêt de tout le monde. C’est une nécessité artistique, parce que les comédien·ne·s jouent mieux quand iels se sentent en confiance. C’est une nécessité morale, parce que lorsque vous dirigez une école ou lorsque vous y enseignez, vous avez la responsabilité de prendre soin de vos élèves. C’est aussi une exigence personnelle, parce que lorsque l’on acquiert un certain âge ou un certain niveau d’expérience, on doit être en mesure d’assumer le rôle de « l’adulte dans la pièce ».
La communauté de l’impro nous appartient à toutes et tous, et nous portons chacun·e la responsabilité de faire en sorte qu’elle reste un milieu accueillant et sûr, même si cela nécessite parfois de prendre des décisions drastiques.
Ne lavez pas votre linge sale qu’en famille
Pour finir, si jamais vous constatez qu’un·e membre de votre groupe a harcelé, agressé quelqu’un ou s’est comporté·e de manière inappropriée, vous pouvez le·la signaler (anonymement si vous le préférez) au site Safe Play.
Ces signalements permettent d’aider des responsables à vérifier si les personnes qu’elles font venir dans leur groupe sont fiables, et permettent plus largement d’offrir une meilleure appréhension de ce qui se passe au sein de la communauté de l’improvisation théâtrale.
[ndt : pour rappel des membres de Safe Play Improv sont francophones et sont donc en mesure de recueillir des signalements ou donner des renseignement en français].
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