Un accent de révolte

J’adore faire des imitations ! Et évidemment j’adore avoir l’occasion de faire quelques accents en improvisation. Cependant j’en fais nettement moins et différemment que lors de mes premières années de pratique. Pourquoi me direz-vous ?

J’avais déjà un peu abordé les enjeux de l’inclusivité de l’humour dans cet article mais je constate que la question spécifique des accents déchaîne plus que jamais les passions, en ont témoigné en 2023 deux fils de discussion fleuves sur le groupe Facebook Improvisation France (depuis rebaptisé Discussions et ressources sur l’improvisation théâtrale). Beaucoup de témoignages passionnants – et aussi malheureusement de positions problématiques – ont été partagés sur ce groupe Facebook français, et je ne voudrais pas que tout disparaisse dans l’oubli des flux de notifications.

Je vous propose donc un récap sur la question des accents en humour et particulièrement en impro, en m’attachant à donner de l’espace et de la parole aux personnes qui se retrouvent aux premières loges sur cette question : celles qui sont victimes de préjugés.

1. SCOOP : on a tous un accent

Je me fais ici un peu plaisir à chipoter, mais je trouve intéressant de signaler que, du point de vue des linguistes, l’accent n’existe tout simplement pas, car ce n’est pas une notion scientifiquement pertinente.

En effet l’accent n’est pas une notion absolue ou objectivable, car il se définit par écart à une norme dominante qui elle-même évolue et peut varier d’un individu à un autre. Par ailleurs la prononciation d’une langue est unique à chaque individu et ne permet pas de schématiser des ensembles homogènes. Enfin certains travaux de recherche ont établi que nous adaptons inconsciemment nos consonnes et nos voyelles en fonction de celles prononcées par la personne à qui on s’adresse. Non seulement tout le monde a son accent, mais en fait tout le monde performe plusieurs accents !

Cet article se demande quel pourrait être par exemple l’accent marseillais « authentique » aujourd’hui : l’accent dit « de Pagnol » ou de Raimu et Fernandel, qui nous renvoie presque un siècle en arrière, l’accent de l’humoriste Patrick Bosso, l’accent du footballeur Zinedine Zidane ou l’accent du rappeur Jul ? Bien que considérés comme des Marseillais « authentiques », chacun d’eux parle avec des traits différents, ne serait-ce que leurs prononciations des « r », ou des « ti » et « tu ».

Tout cela aide à bien comprendre ce qu’est un accent : c’est une construction sociale qui résulte de deux mécanismes :

  • 1/ l’exclusion: une personne est considérée avoir un accent à condition que sa prononciation s’écarte d’une norme, c’est-à-dire la façon de parler des « gens normaux », les personnes en position dominante dans la société considérée ; seuls les dominants considèrent ne « pas avoir d’accent » ;
  • 2/ l’amalgame : la constitution de groupes de personnes, essentialisées autour de quelques tournures de langage clés, même si leurs façons individuelles de s’exprimer restent tout à fait singulières.

2. L’accent est un critère de discrimination et de domination

Plusieurs travaux de recherche ont documenté comment la prononciation de la langue constitue un critère de discrimination, et l’humour qui s’y attache un vecteur de domination. Cette forme de discrimination a un nom : la « glottophobie ».

La maîtrise de la langue constitue en effet un élément de distinction, c’est-à-dire qu’elle sert à séparer une « élite » ou le groupe des « gens normaux » des autres personnes, qui peuvent être ramenées à des statuts divers mais invariablement inférieurs : pittoresques, ploucs, abrutis, arriérés, conviviaux, malpolis, incivils, impulsifs, fainéants, agressifs, grossiers, rustres, gentils, mal finis…

On peut penser que les clichés sur les accents constituent une forme d’humour certes un peu basique mais après tout plutôt bon enfant, innocente et inoffensive.

Il faut pourtant avoir à l’esprit que plusieurs travaux de recherche ont montré que la discrimination à l’accent a des effets très concrets !.. Les travaux de Robert Mc Kenzie par exemple mettent en évidence que les enfants britanniques avec accent ont de plus faibles chances que leurs camarades d’obtenir des bonnes notes à l’école. Ces inégalités peuvent devenir plus graves avec l’âge : les personnes avec accent auront davantage de chances d’être jugées coupables dans un procès, seront moins susceptibles d’être recrutées à l’issue d’un entretien d’embauche ou de voir leur dossier de demande de logement social accepté… Les sondages et enquêtes d’opinion vont dans le même sens que les études socio-économiques. Au Royaume-Uni, selon un sondage ComRes pour la chaîne ITV News de 2013, 28% des personnes interrogées s’étaient déjà senties discriminées en raison de leur accent, notamment au travail (14%) ou durant un entretien d’embauche (12%). Selon un sondage TNS-Sofres de 2003 sur «les discriminations sur l’apparence dans la vie professionnelle et sociale» pour Adia Interim, 44% des personnes interrogées pensent que « la façon de parler, l’accent » est un critère de choix d’embauche entre deux candidats de compétences et de qualification égales, soit un point de plus que le handicap et même treize points de plus que « la couleur de peau ». Un tel écart est sans doute lié au fait que la discrimination à l’accent est moins associée au racisme et donc moins sanctionnée. Les employeurs interrogés arguent par exemple que l’accent peut être « corrigé », et que donc refuser un poste pour un accent qui ne « fait pas sérieux » ne constitue pas un acte discriminatoire (spoiler – c’est faux).

3. L’humour vient renforcer un contexte culturel de domination

Dans un tel contexte, les personnes dont le langage s’éloigne de la norme sont considérées comme des clowns (pour rappel, cf. ce précédent article, le mot « clown » dérive du terme germanique Klönne signifiant « homme rustique, balourd », lui-même dérivé d’un mot qui désignait, à l’origine, une « motte de terre »).

Et que fait-on face aux clowns ? Nous rions, bien sûr !

C’est triste à constater, mais les « accents rigolos » utilisés pour la comédie sont une des nombreuses manifestations du racisme systémique.

Plus largement, les actions ou le caractère d’un personnage peuvent susciter le rire, mais son identité, elle, ne devrait pas.

On peut avoir tendance à se dire que même si certains clichés sont un peu lourdingues, « ce n’est pas bien méchant », « ça reste de l’humour », et que les artistes qui les utilisent sont bien conscient·e·s que la caricature ne correspond pas à la réalité. On peut en effet s’amuser du second degré tant qu’on n’est pas concerné·e par la domination associée à la blague (cf. article précédent), mais ça change beaucoup quand on est soi-même victime des préjugés…

Comme le représente la vidéo ci-dessus, nous avons parfois besoin de nous mettre à la place de l’autre pour véritablement comprendre l’impact de certaines plaisanteries que l’on estime anodines.

« On utilise fréquemment les accents des personnes racisées pour les ridiculiser.

Mon interprétation est la suivante : la maîtrise d’une langue est souvent associé à l’intelligence et à la culture dans la société, et une catégorie de personnes qui parlent mal une langue, qui n’utilisent pas les intonations et les sons toniques correctement, peut donner l’impression d’être d’une infériorité intellectuelle.

Des personnes de ma famille n’osent parfois pas parler en public et me demandent de m’adresser à leur docteur, banquier, à leur place, car ils ont peur de se ridiculiser en parlant mal le français. Du coup quand je suppose que l’utilisation d’un accent de minorité racisée peut amener de la moquerie, je pense à eux, et ça me fait mal. »

Meng Wang, improvisateur

Même en étant mobilisés « ironiquement », les clichés entretiennent une vision fausse des cultures auxquelles ils se rapportent. L’accent vient souvent avec un « package » réducteur : les antillais seront des fainéants libidineux, les chinois des restaurateurs excessivement polis, les roumains des mendiants un peu forceurs, les gitans des abrutis fans de tuning qui passent leur temps à s’insulter (je ne vous inflige pas la liste complète)… Tous ces clichés, outre leur absence totale d’originalité, renforcent des préjugés déjà bien trop installés et empêchent d’appréhender la richesse des différentes cultures associées, même s’ils sont mobilisés « pour de rire ».

« Pourquoi lorsque la catégorie est western ou à la manière de Tarantino etc…personne ne pense à prendre un accent américain ?

Derrière l’accent se cache la vision exotisante de certaines cultures, ce qui les renvoie en dehors du champ de la normalité (de manière non conscientisée hein !) Et l’idée de normalité dans les cultures… C’est la définition du racisme. »

Ammar Djenadou, improvisateur

En se « moquant des clichés » pour la Xème fois, on occupe un espace qui aurait pu être mis au service d’une meilleure représentation des cultures dominées ou rivales.

Franchement y en a qui savent plus s’amuser !

« Quand mes amis français prennent l’accent belge, d’une part ils disent toujours une fois, ce que nous belges ne disons jamais, vu que cette expression est issue de Coluche qui est lui même d’origine italienne…

Mais en plus, l’accent leur fait aller quasiment systématiquement dans des histoires de frites et de bières, comme si c’était un sujet majeur national chez nous… »

Fred Sentier, improvisateur

Pour un·e spectat·eur·rice blanche, ces tranches d’humour à la papa peuvent apparaître sans intérêt, au pire malaisantes ou vexantes si elles concernent sa propre culture. Mais pour une personne racisée, cela vient aussi renforcer des humiliations qu’elle subit régulièrement et renforcer la marginalisation dont elle fait déjà quotidiennement l’objet. La salle de spectacle n’est alors plus pour elle un lieu de divertissement, cela devient un espace où la violence sociale la rattrape.

Les personnes racisées subissent une triple violence quand elles sont confrontées aux clichés visant leur communauté :

  • une première violence issue des propos tenus sur scène, comme on vient de le voir ;
  • une deuxième violence, assez vertigineuse, consiste à se retrouver au milieu d’une foule hilare, qui s’esclaffe ou applaudit à des blagues dénigrant sa culture, leur donnant ainsi une validation sociale : la personne racisée se découvre alors isolée au milieu d’une communauté qui se moque de ses origines et reste déconnectée de son vécu ;
  • une troisième violence, qui est celle de la délégitimisation de son point de vue : gare aux personnes qui veulent alors faire remarquer que l’humour déployé sur scène était blessant ou inapproprié : on leur répondra – gentiment – qu’elles « n’ont pas d’humour », qu’elles « n’ont pas compris l’état d’esprit du spectacle », voire qu’elles « veulent tout censurer » et qu’avec de telles approches, bientôt, « on ne pourra plus rien dire », de peur de ne blesser personne…

4. Les blancs ne sont pas épargnés par la glottophobie

A ce stade, on pourrait conclure que l’humour par les accents est un des vecteurs du racisme et que la bonne solution serait 1) d’identifier les accents racistes puis 2) de les bannir.

« Voilà la liste des accents que tu as le droit d’enseigner sans que je vienne appliquer un tampon encreur « racistes » sur ta troupe : Québécois, Parisien, Bourgeois, Auvergnat, Breton, Alsacien, Belge, Italien, Suisse. »

Ouardane Jouannot, improvisateurice

Mais l’accent n’est pas qu’au service du racisme : il peut aussi alimenter le classisme, la xénophobie, la ploutocratie, le métropolisme : en clair l’accent peut être utilisé « entre blancs » pour rabaisser les « ploucs », les « chelous », les « consanguins », les « bouseux », les pauvres, etc… Car c’est aussi un vecteur de domination de classe.

Ce mécanisme est un peu moins visible car certains accents dits « régionaux » font l’objet de clichés à tonalité positive : ils peuvent être considérés comme sympathiques, conviviaux, voire sexys. Mais vous noterez qu’il y a une image qu’ils ne renvoient jamais dans l’acception courante : c’est celle de l’intelligence.

Jean-Michel Apathie et Michel Feltin-Palas ont fait réaliser en 2020 un sondage qui conduit à estimer que 30 millions de Français ont un accent régional et que parmi eux un tiers estiment avoir été discriminés au cours de leurs études ou au cours de leur carrière professionnelle en raison de leur accent.

Je vous partage quelques témoignages de « blanc·he·s » victimes de discrimination par l’accent :

« Dans la vie courante comme dans l’impro, dès qu’on imite l’accent espagnol c’est pour faire des personnages stéréotypés et clichés.

J’ai aussi senti au téléphone que j’étais traitée avec beaucoup moins de patience et comme si j’étais moins intelligente que la personne en face dès qu’on entendait mon accent.

Ça m’arrive de moins en moins, mais j’ai fait appel à des francophones parfois pour parler au téléphone à ma place sur des sujets administratifs. »

Katia Aresti, improvisatrice

L’ouvrage de Jean-Michel Apathie et Michel Feltin-Palas donne également l’exemple d’une jeune femme originaire du Vaucluse qui, se présentant à l’agrégation de lettres classiques, s’entend dire par un président du jury moqueur : « Tiens, je ne savais pas que Mireille Mathieu prétendait à l’agrégation »…

Le film de Vincent Desombres Avec ou sans accent relaie d’autres témoignages assez éloquents :

« J’avais passé une simulation d’entretien professionnel et j’ai demandé à ma professeure si mon accent pouvait m’handicaper. Elle m’a répondu que tant que je disais des choses sensées, je ne passerai pas pour une « paysanne ». C’est là que j’ai compris qu’avec mon accent, je n’avais pas le droit à l’erreur.
Puis, pendant mes études, mon directeur de mémoire, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), m’a soutenu que si j’allais à Paris, j’allais souffrir de mon accent et que je ne parviendrais pas à dépasser cette souffrance. »

(…)

« Tous les jours, on me demandait de répéter « pain, rose, jaune, etc ». Je le prenais avec autodérision jusqu’au jour où je suis arrivée à la prod’ avec la boule au ventre » (…) « Il y a eu ce fameux jour où, sur une production, un stagiaire m’a sorti : « C’est marrant ton accent, ça fait mi branleuse, mi-séductrice ». J’ai complexé et l’idée d’aller voir un orthophoniste m’est venue. »

Annabelle, productrice d’origine toulousaine

Ou encore :

 « Lors d’un entretien pour un poste dans un grand musée, les recruteuses avaient envie de rireLa question des origines est vite venue et je n’ai pas eu le boulot. Puis, à l’occasion d’un autre entretien, on a évoqué mon « accent rural ».

Je l’ai mal pris et la période de chômage qui a suivie a été une période de remise en question : je m’enregistrais et je travaillais à le faire disparaître. »

Nicolas, conservateur du patrimoine d’origine perpignanaise

Qui c’est qui veut me recruteeeer ?

Même des personnes a priori situées en haut de l’échelle sociale et intellectuelle ont pu subir de la glottophobie :

« J’ai mis 30 ans à être pris au sérieux à cause de mon accent d’Agen »

Michel Serres, philosophe, membre de l’Académie française

Certains se saisissent du « stigmate » de l’accent pour en faire un pilier de leur identité et en revendiquer la légitimité, c’est par exemple la thématique centrale des spectacles de l’humoriste marseillais Patrick Bosso :

5. Bon alors quoi, on ne peut « plus rien dire ? »

Si l’on prend en compte tout ce que je viens de dire, on peut arriver à la conclusion qu’il faut totalement arrêter d’utiliser des accents sur scène, à part celui que l’on peut adopter quand on s’exprime naturellement.

Mais refuser d’utiliser les accents, c’est aussi refuser de représenter la richesse de nos cultures et la diversité de notre société, ce n’est pas une perspective satisfaisante.

Par ailleurs, refuser les accents c’est aussi se priver d’une partie non négligeable de la palette du jeu d’act·eur·rice : la façon de prononcer la langue est un élément qui aide grandement à incarner et à faire vivre un personnage de façon très naturelle (en jouant sur la prononciation des consonnes ou des voyelles, l’intonation, le rythme, la hauteur de ton, le volume, l’articulation, l’emphase…).

Mais alors comment (bien) faire ?

Se moquer des puissants ?

Les anglophones distinguent l’humour « punching up » et l’humour « punching down », c’est à dire la différence entre rire des puissants (par exemple imiter Donald Trump) et rire des opprimés (par exemple Donald Trump qui imite un journaliste handicapé), comme a pu l’expliquer Alexis Ramos dans les débats francophones sur l’accent en impro.

Je suis tout à fait d’accord avec ce principe, mais je trouve qu’il s’applique mal aux accents : si je suis d’accord pour me moquer des bourgeois en tant que classe dirigeante, je ne suis pas pleinement à l’aise de le faire juste en imitant un « accent de bourge » : je préfère qu’on rigole pour de bonnes raisons, à savoir prendre conscience de l’irrationalité du pouvoir que détiennent certaines personnes, mais moins qu’on rigole pour des raisons plus discutables car essentialistes : « moquons-nous de ces dégénérés de bourges consanguins qui parlent comme des cons ! »

Oui OK, ça m’avait bien fait marrer à l’époque

Ce type d’humour « punching up » fonctionnera toujours mieux si on y injecte un peu de tendresse et de poésie :

Il va sans dire que l’humour « punching down » est à éviter absolument. Et oui, même quand « on se moque de tout le monde » : dans une société inégalitaire, cela revient à adopter une position conservatrice. Pire, la plupart des humoristes qui disent « se moquer de tout le monde » oublient en réalité de rire des puissants. Dans la même veine, il faut prendre conscience qu’être « universaliste », et « ne pas voir les couleurs », c’est un privilège auquel les personnes racisées n’ont pas accès : on leur rappelle quotidiennement que oui, les couleurs existent, et que ce n’est pas une aubaine pour elles.

Se moquer de soi et de ses semblables ?

Une manière intéressante de mobiliser la dérision (et l’accent) c’est quand on parle de soi. Vous aurez la légitimité et la noblesse de pointer vos faiblesses, ou plus simplement et tendrement ce qui fait votre originalité. A mon sens, il n’est pas nécessaire de se rabaisser pour proposer quelque-chose de plaisant. Notre accent peut être par exemple un outil au service de notre clown, dans le sens où la figure de clown nous parle de la norme, en passant son temps à la subvertir et la briser (Cf. article dédié). C’est une approche qui est souvent utilisé par les artistes de stand-up.

Attention toutefois à ne pas entretenir des clichés éculés qui existent sur son propre groupe social, ou pire à véhiculer des clichés sur d’autres communautés également oppressées. L’humour « horizontal » se pratique pas mal dans le milieu du stand-up, où beaucoup de sketches proposent de l’humour communautaire : un marocain se moquera gentiment des travers des marocains, et glissera au passage des blagues sur les tunisiens, les algériens ou les noirs. Cet humour « horizontal » est relativement inoffensif quand il se pratique dans des espaces de confiance devant un public qui brasse les différentes cultures concernées. C’est sur le papier bon enfant mais j’y vois tout de même toujours le risque de véhiculer des clichés qui, dans d’autres contextes, deviennent néfastes pour les communautés concernées.

Faire des accents sans se moquer ?

A priori rien ne s’oppose à ce que l’on fasse des personnages avec accent, du moment que l’on ne véhicule pas les clichés qui y sont associés – ce qui est beaucoup plus difficile à faire qu’à dire !…

« On peut incarner des personnages avec un accent (ou tout personnage éloigné de nous), du moment que l’identité de ces personnages ne constitue pas une blague en soi.

Si je m’exprime avec un accent, l’accent en lui même ne suffit pas à faire de la comédie. Il existe de vraies personnes avec de vrais accents et leur vie n’est pas matière à rire. Cela vaut pour tout aspect de nos identités. Si quelqu’un est gay, vieux, handicapé, ou toute autre caractéristique, s’amuser du seul fait qu’il soit différent de nous c’est de la malveillance. Car dans ce cas nous proclamons que ce qui fait l’identité de cette personne est risible et mérite d’être moqué.»

Vinny François, improvisateur (traduit de l’anglais par le rédacteur)

« Faites des imitations ou des personnages, mais pas des accents.

Dans le second cas vous serez amené à proposer une généralisation, un stéréotype. Vous serez condamné à faire et refaire des blagues faciles et au final vous ne ferez que vous moquer des gens pour ce que vous pensez qu’ils sont. C’est chiant et paresseux.

Une imitation, en revanche, peut valoriser positivement un individu. »

Alltogethernow (pseudo sur reddit), improvisateur (traduit de l’anglais par le rédacteur)

Vous noterez cependant que même avec les meilleures intentions du monde, vous ne contrôlerez pas totalement la réception de votre jeu d’act·eur·rice : un accent fait de manière bienveillante et sans intention comique peut faire rire un public raciste.

« Je ne pense pas que ce soit accessible pour des blancs qui jouent devant des blancs de faire des accents qui subvertissent le racisme »

Ouardane Jouannot, improvisateurice

La meilleure solution resterait de constituer un collectif artistique rassemblant des cultures et des accents divers, ce qui garantira l’authenticité et la pertinence des scènes car chacun·e pourra jouer avec son vécu et son bagage culturel, et jouer en confiance avec ceux de ses camarades.

« Peut-être qu’un jour si l’improvisation devient plus diverse, nous pourrons faire de l’humour les un·e·s à propos des autres depuis une position d’égalité. »

Ouardane Jouannot, improvisateurice

Alors, est-ce que je continue à faire des accents ? Oui, tout de même de temps en temps. Mais plus avec le même objectif. Je résumerais mon approche de la façon suivante : un accent peut servir à rendre un personnage vivant. Il ne doit pas servir à le rendre risible.

C’est pour moi une intension essentielle. Après malheureusement je ne peux effectivement pas maîtriser la réception que le public fera de mes propositions. Même en supposant que mon approche est sans biais raciste ou classiste, le fait d’adopter un accent sur scène restera susceptible de faire rire des gens juste parce que cela leur rappelle des clichés qu’ils ont intériorisés. L’enjeu dépasse ici malheureusement mes capacités de comédien, sauf si j’ai l’occasion de déployer de l’impro à propos politique, ce qui n’est pas toujours évident à faire dans certains formats de spectacle.

Nous entrons dans un chantier qui peut sembler surhumain : faire en sorte que le racisme systémique n’existe plus. Cela risque malheureusement de rester pendant longtemps dans la liste des bonnes résolutions de l’année (mais cela commence par les pistes explorées dans cet article).

Conclusion

Dans cette affaire d’accents, je vois une opportunité intéressante pour les personnes dominantes de prendre conscience des biais et des mécanismes de domination, et de progresser vers plus d’inclusivité. Et qui sait, commencer à leur modeste échelle à changer le monde ?

J’emprunte pour finir la plume de mon ami A., dont le témoignage donne un aperçu des ponts qui peuvent être faits en la matière (et j’en profite parce qu’il écrit bien) :

« Je pense avoir eu une expérience personnelle du racisme « basse température ». J’ai dû, au cours de mes études supérieures, quitter la contrée qui m’a vu naître et où j’ai grandi. Je me suis installé à « Loin ». J’ai trouvé qu’à « Loin » il faisait froid, que les gens avaient une mentalité, un vocabulaire et des habitudes étranges.

Les habitants de « Loin » se sont moqués de mon accent. Dès que j’ouvrais la bouche, les sourires et les réflexions : « ça me rappelle les vacances », « quand tu parles on entend le soleil »… Le français est ma langue maternelle. Certes certaines de mes expressions sont plus répandues « ChezMoi » qu’à « Loin », mais elles appartiennent à la langue de Molière et de Senghor. Il y avait pourtant dans ma voix un peu de soleil qui faisait rire et qui « ne faisait pas sérieux ».

Je ne parle même pas des préjugés sur les gens de « ChezMoi ». La plupart étaient « affectueux » si l’on peut dire : gouailleurs et glandeurs, bourrins et bourrus. Des clichés avec lesquels je joue moi-même. Mais vous savez, je me les sers avec assez de verve… Et puis ils sont prompts à se durcir : fainéants, profiteurs, resquilleurs, voire franchement voleurs…

Je n’en suis pas mort, je n’en ai même jamais pleuré. Il faut dire que j’étais déjà fort en arrivant et que je suis un sale gosse, l’adversité me durcit le cuir. J’ai retourné les remarques contre ceux qui les faisaient, j’ai moqué le moqueur et ridiculisé le persifleur, en bref, j’ai mis les rieurs de mon côté et me suis intégré à « Loin ».

Il faut dire aussi que personne ne m’a jamais tabassé, que tout ceci était objectivement plus bête que méchant, et que l’on ne m’a pas jeté dans la Seine. Tout ceci donc n’était pas bien grave, mais c’était moche. »

Ces mots sont extraits d’un article qui peut être lu en intégralité ici.

Pour aller plus loin :

Documentaires :

Podcast:

Articles de presse :

Sites internet :

Guide et manuels :

Blogs :

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